vendredi 3 janvier 2014

Le deuil familial

Notez que j'utilise le terme "deuil" puisque c'est celui utilisé lorsqu'on parle du "deuil de l'enfant "rêvé". Ce n'est pas un terme que j'utilise ni mon choix préféré mais c'est celui qu'on emploi régulièrement. Il n'est pas péjoratif, non, on ne parle pas de mort...

J'ai déjà abordé il y a probablement assez longtemps le sujet du deuil, qui en fait, ne se fait jamais.

Je ne crois pas au deuil de l'enfant "rêvé", je ne l'ai pas vécu. Ceci dit, cela ne signifie pas que je ne vis pas des deuils par-ci par-là dans notre vie avec des enfants différents.

Le deuil familial, c'est un gros, et c'est un peu celui qui nous empêche à la fois.

En avril dernier j'avais fait une entrevue à la radio. C'était une entrevue avec des parents d'enfants différents, pas seulement l'autisme. Un certain moment nous avons parlé de répit avec les enfants différents. Prendre du temps pour soi, en couple, pour se garder sain d'esprit et en santé psychologique!  Est-ce si simple? Une autre maman d'un enfant maintenant adulte disait qu'elle non plus n'avait pas vraiment utilisé les services de répit. Pas qu'ils n'existent pas, mais parce qu'on a une famille et on ne se voit pas "exclure" un de nos enfants pour du "répit", parce que d'une façon ou d'une autre, il y aura quand même trois autres enfants à maison.

Je n'ai pas besoin de répit de notre fils, plus que besoin de temps pour nous comme bien des parents d'enfants typiques. Mais c'est là que dans la différence ça se complique et déjà, faire garder quatre enfants pour avoir du temps pour nous, les gens ne se bousculent pas à la porte, alors quand on a un enfant (ou plusieurs) différents, comment gère-t-on l'idée du répit? Un dans un centre de fin de semaine à 150$? Ensuite, les trois autres? Deux chez grand-maman X et un chez grand-maman Y?

Ça ne fait juste aucun sens dans ma tête, et c'est là que le deuil "familial" embarque.

J'ai eu plusieurs enfants pour avoir une famille, et le rêve de famille, c'est un rêve d'une famille unie.

Maintenant, dans la différence, la famille ne nous semble pas unie, et ça, c'est un deuil... et plus encore, c'est accepter une façon de vivre différente.

Notre famille, lorsque nous devons sortir, faire des activités avec les enfants, les fêtes, Noel, les repas le soir autour de la table, me parait bien des choses, mais pas unie.  Pas comme dans nos rêves, pas comme on le souhaitait. J'ai plutôt souvent l'impression d'avoir une famille éclatée, nous sommes tous ensembles mais j'ai le sentiment que chacun d'eux a une grosse bulle qui l'entoure nous empêchant de vraiment se sentir ensemble.

Il n'y a aucune bonne manière d'abordée ce sujet sans "tomber dans le négatif", pourtant, comme tout ce que j'écris toujours ici, ce n'est pas mon intention. Je ne me veux pas négative, sombre, mais plutôt réaliste dans ma réalité. Mais bien entendu, mes sentiments m'appartiennent et tous ne le vivrait pas de la même manière.

Ici, des sorties familiales, il n'y en a pas vraiment et ce, même si nous sortons beaucoup avec les enfants. Dans la dernière année, il n'y en a eu qu'une seule où j'ai eu ce sentiment de famille, que nous étions tous ensemble. Une seule, c'est très peu et c'est blessant, parce que même si nous avons décidé que l'autisme ne nous empêcherait pas (au risque de gérer les crises en temps et lieux), l'autisme est quand même limitatif, qu'on le veuille ou non, c'est juste comme ça.

Il y a peu de temps nous avons fait une sortie au cinéma. Nous avons amené Tommy pour la première fois pour aller voir un film qu'il avait déjà vu. Question d'y aller progressivement avec lui. Ça s'est très bien passé, mais Tommy ne partage pas avec nous, il ne nous dit pas qu'il est content, qu'il a aimé, il ne parle pas de ce qu'il voit, donc, comme toujours depuis qu'il est tout petit, il nous suit, il est avec nous, dans sa grosse bulle qui nous donne l'impression qu'il est si loin à la fois.

J'ai une belle famille, et j'ai parfois l'impression de ne pas en avoir. Même si les quatre enfants sortent avec nous, il me manque un morceau qui je sais, pour le moment, n'y est juste pas.

J'en avais des rêves avec les enfants, des activités que je voulais vivre avec eux, les glissades à l'extérieur, le patin, le vélo, les promenades dans les bois (une de nos seules mais combien belle activité familiale!), les jeux d'eaux, les parcs, les jeux de société.... et bien d'autres. Malgré les années qui passent, les enfants qui grandissent, c'est un deuil que je vis encore.

J'en parle parfois de nos sorties, de cet été qui a été difficile avec Tommy qui se sauve et le bébé qui a une fixation sur les voitures. Les sorties de vacances ont été pour la plupart assez infernale, stressante, source de chicane entre parents et non agréables comme on le voudrait en tant que famille. On me parle alors de cette solution, un peu simple, mais combien difficile. Faire des sorties privilégiées avec les filles. Là où nous n'avons pas à gérer le stress de Tommy, sa non-envie de suivre, les crises du bébé qui ne comprend pas encore assez...

Oui, ce serait simple, mais difficile à la fois. Premièrement, prévoyons donc une gardienne, ce qui limite la spontanéité d'une sortie décidée à la dernière minute avec la petite gang. Trouvons maintenant la disponibilité de la gardienne...  Ensuite, quittons avec les deux filles, Tommy qui se fou bien de notre départ, mais le bébé qui hurle sa vie de me voir quitter la maison. Et c'est là que j'ai mon image de famille éclatée. Tommy d'un côté, derrière son mur de silence et le bébé de l'autre, derrière ses cris de détresse. Les filles nous suivent, nous sommes "en famille", mais il manque deux gros morceaux de moi qui n'ont pas suivi. Je les voudrais avec moi, je les rêve avec moi, j'envie les autres familles complètes...

C'est ainsi que nous avons fait notre sortie avec les filles hier, mais moi, je n'y étais pas vraiment. J'étais là, présente physiquement, mais mon esprit était avec les deux garçons qui manquaient...  Je ne dis pas que je n'ai pas apprécié cette sortie, loin de là, mais c'est une réalité qui nous rattrape, c'est ce que l'autisme nous enlève, c'est ce qui nous manque... c'est ce qu'on rêvait... et dans le cinéma, avec les deux filles, c'est à ça que je pensais.

Ça aurait pu s'arrêter là, mais j'avoue que de voir la détresse de la grande une fois le film commencé, se couvrant les oreilles du mieux qu'elle pouvait car le son l'agressait trop, c'était une petite peine supplémentaire.

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